LE LOOK LOUNGE
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LE LOOK LOUNGE
Comme nous lavons déjà mentionné par rapport à la musique et aux bars, le style lounge renvoie aux années 1950. Quoiquil ne serait pas juste davancer quau niveau vestimentaire, la mode lounge contemporaine impose un retour stricte à cette décennie, il est tout de même intéressant de voir de quelle manière sont aujourdhui repris ou exprimés certains des éléments de ces années. Rétro, répétition et récupération sont tous des facteurs déterminants de la mode moderne, et ce, en tout temps. La mode au niveau du vêtement, comme dans sa forme plus générale - est un processus cyclique qui innove souvent en opérant une fusion entre le passé et «là-venir» : le style lounge en est un très bon exemple.
Tous les bars lounge ne font pas revivre la mode des années 1950 de la même manière, et tous ny prêtent pas la même attention. Par exemple, alors que le «Jello bar» mise beaucoup sur des objets (cendriers, lampes, etc.) clairement recyclés de ces années, dautres nont repris de cette décennie que latmosphère de luxe et de prospérité, pour lincorporer à limage globale des lieux (comme le «Sofa» ou le «Quartier Latin»). Néanmoins, il est évident que tous les bars lounge cherchent à recréer un climat essentiellement «fifties».
Ainsi, dans notre société actuelle, comme le souligne Halle (1977), «le rétro est «à la mode», mais la mode nest pas que rétro; au-delà de modèles conjoncturels, elle constitue un style plus vaste dont le rétro est une des composantes, une des manifestations. La mode nest jamais quune mode, quun style parmi dautres, mais une mode (et un style) qui domine». Par conséquent, la mode lounge propose une combinaison de divers éléments du passé et du présent : musique paisible entremêlée de sons plus électroniques; look vestimentaire et atmosphère «classy» (en général, la majorité des gens sont vêtus soigneusement (puisque sont refusés à la porte casquettes, tenues de sport et tout ce qui est trop excentrique) mais très «nineties» dans leur penchant pour le confort et le décontracté; martinis, cocktails, scotch, portos et cigares consommés - autant par des hommes que par des femmes - pour leur qualité, mais aussi pour limage «chic» quils permettent, à ceux qui les consomment, de projeter pour lidentité quils aident à construire.
Aussi, bien que comme il le fut avancé plus haut, le look lounge actuel ne fait pas directement appel au look des années 1950, il semble pertinent de noter deux faits sociaux ayant fortement influencés la mode durant ces années et qui sont, encore aujourdhui, des éléments déterminants de nos tendances vestimentaires: soit, la fin de la Deuxième guerre mondiale et lémancipation de la femme.
Laprès-guerre
Durant la dernière guerre, le style vestimentaire était le résultat dune rationalisation : période obligeait, les vêtements étaient militarisés, conformes et plutôt uniformes. Il ny avait point de place pour la création de mode. Laprès-guerre a cependant amené un regain dintérêt pour celle-ci, et cette réalité fut actualisée par lapparition de grands designers, tels Dior, Fath, Balmain, Balenciaga, Grès, Givenchy, St-Laurent, etc. La mode des années 1950 fut donc marquée par une idéologie de renouveau (un peu comme elle lest aujourdhui - en cette fin de millénaire grâce à des couturiers comme Alexander McQueen), dabondance et de luxe, et comme à cette époque, nous, les baby-boomers vieillissants et notre société de consommation, insistons, de nos jours aussi, beaucoup sur la qualité et le luxe.
En 1950, le vêtement se devait dêtre comme maintenant élégant et sophistiqué (plutôt que, par exemple, choquant tel fut le cas à lère de la minijupe), et il se devait davoir un certain sex appeal on voulait jouir de ce dont on avait été privé pendant la guerre (aujourdhui, cela est plutôt le résultat de la libéralisation des murs sexuels), et on se réjouit de voir apparaître de nombreux films et vedettes de cinéma très «glamour» comme Monroe, Dussell et Bardot auxquelles on chercha immédiatement à sidentifier.
Lémancipation de la femme
Suite à la guerre, plusieurs femmes se sont retrouvées sur le marché du travail; elles occupaient des emplois dadministration, elles étaient banquières et se livraient à toutes sortes dactivités économiques. Préconisant le nouveau look garçonne, elles se moquaient de plus en plus des contraintes morales et sociales (comme aujourdhui!) ; elles ne cachaient plus leur silhouette, leur cheville, leur mollet, et les genoux se démasquèrent. Ayant déjà été orchestrés dans les années 1920 par des couturiers comme Poiret Chanel et Vionnet, le style renvoyant à lémancipation de la femme ne prit son réel essor que dans les années 1950, et continue aujourdhui à être accentué.
Également, en ce qui tient à lémancipation féminine, il est important de noter «leffet Dior», puisque le look des années 1950 est souvent associé à ce designers. Lorsque celui-ci lança sa toute première collection en 1947, le succès de la maison fut assuré. Ce «new look» de Dior contribua à libérer les femmes des rigides silhouettes issues de la guerre et mit en valeur la beauté des formes. Pour ses créations, Dior utilisait de luxueux tissus à profusion, sinspirait des formes féminines, jouait avec la longueur et la largeur des jupes, et mit le buste en valeur; ces changements fut bien accueillit dans un monde qui réclamait un peu de sensualité et dopulence après les rigueurs de la guerre. Ses tendances se maintenurent tout au long de la décennie, et eurent une influence sur tous les designers de cette époque, de même que sur plusieurs de nos contemporains.
Aujourdhui, certains éléments ayant caractérisés les années 1950, ne jouissent plus dautant dimportance, comme par exemple le corset (qui fut abandonné afin de permettre un look plus naturel) et le chapeau (qui, quoique petit et très simple durant cette décennie, ne répond plus au besoin dêtre minimaliste qui distingue notre temps), mais dautres accessoires plus pratiques tels les lunettes fumées et les sacs-à-main- les ont remplacés. Pourtant, comme dans les années 1950, le look «chic» est toujours prôné en ce qui touche à la mode vestimentaire. Plus simpliste quauparavant, ce «chic» marque toutefois bien notre temps, ainsi que la mode lounge.
TENDANCES VESTIMENTAIRES MODERNES
Calvin Klein Printemps 99 Étant considérés comme «branchés», les lounges sont des lieux urbains où sexpriment bien, et visiblement, nombre de tendances vestimentaires modernes. Ces tendances, en cette fin de millénaire où plusieurs individus remettent en question certaines valeurs sociales - comme la performance et le succès «à tout prix», la vitesse, la frénésie, la passion pour le scandale et la superficialité globale - sont particulières en ce quelles tentent, à travers le vêtement, de promouvoir le confort, le bonheur, le plaisir, la stabilité, lanti-artifice, la simplicité, la profondeur desprit, enfin, comme le souligne léditrice de «Harpers Bazar» (édition février 1999), un «belief in the good life». Donc hommes comme femmes, à lintérieur des lounges sont habillés à la fois de manière de décontractée, mais tout de même généralement assez «fashion» : le jeans, le t-shirt et la camisole, tout comme le veston, la cravate, ou la robe longue y ont leur place, pourvu que le «look global» de ceux et celles qui les portent, traduise une certaine classe. Le look lounge pourrait être dit bon chic bon genre mais démocratisé.
BCBG Printemps 99 Endroits «in», les lounges montréalais comptent parmi leur clients plusieurs vedettes locales, des professionnels, des gens ayant un certain «standing» social qui veulent être vues, des fashion victims, mais aussi des gens plus ordinaires qui ne cherchent quà se divertir dans des lieux prisés et attrayants où il est possible de sévader, et donc qui ne portent pas nécessairement une grande attention à leur look. À ne pas oublier, la mode lounge fait référence à un style assez vague et sans définition fixe, et pour cette raison le style vestimentaire qui laccompagne lest tout autant. Cependant, malgré cette relative diversité en ce qui touche au vêtement à lintérieur des lounges, une certaine homogénéité réussit tout de même à y transparaître. Comme lindique Sarah Thornton dans son ouvrage «Club cultures, 1996» (p. 23), chaque bar a une culture lui étant propre, et cette culture renvoie directement aux goûts particuliers de ceux et celles qui fréquentent ce bar : «( ) club cultures are taste culture. Club crowds generally congregate on the basis of their shared taste in music, their consumption of the same media, and most importantly, their preference for people with similar tastes to themselves». Thornton ne traite pas concrètement de la mode vestimentaire et du vêtement comme tel, mais son propos sy étend néanmoins.
Hugo Boss Printemps 99 Daprès elle, le choix de fréquenter un bar plus quun autre passe par un processus de sélection personnelle (self-selection), qui sopère selon les préférences de chacun. Ce serait dabord selon ce principe que sorganiserait tout club, suivis du besoin de communiquer (avec des individus partageant certains goûts similaires) auquel il répond, et puis finalement sur les politiques «à la pote» (ou door policy) qui permettent au club de se construire, et de maintenir, une certaine image leur étant propre : «self-selection is the first principle of the organization of club crowds; route of communication is the second; door policy is the third. Door people put the finishing touches to composition of the crowd. They style the clubs internal images and contribute to its cohesive total environment».
Donna Karan Printemps 99
LE VÊTEMENT ET LA PRÉSENTATION DE SOI
Selon Erving Goffman, toute rencontre entre individus en lieu public serait ritualisée. Une fois en relation avec autrui, nous dit-il, hommes et femmes jouent un jeu (un peu comme au théâtre) à lintérieur duquel ils sont confrontés à certaines obligations, et doivent projeter une image (idéalement favorable) deux-mêmes à travers chacun de leur gestes et actions. Quoique quil ne se soit pas attardé aux bars comme tels, il est possible en appliquant sa théorie, de suggérer que les clients des lounges, comme toute autre personne dans un environnement social, projettent leur «soi» à travers leurs actions (boire une consommation élégante, discuter avec dautres, profiter de la musique, etc.), de même quà travers leurs vêtements. De cette manière, quelle que soit la raison pour laquelle les individus choisissent de fréquenter ou de se rendre occasionnellement à un lounge - pour prendre un verre, pour socialiser, pour retrouver un espèce de deuxième chez soi (un home territory), ou pour samuser cela implique inévitablement quest transmise (consciemment ou non) de linformation sur soi; ce quun individu choisit de boire dans un bar et les vêtements quil choisit de porter, véhiculent un message symbolique qui révèle aux autres à la fois son standing social, sa profession, son sexe, et peut-être son âge. Ainsi, comme le vêtement est un outil de communication très puissant, certaines personnes peuvent être tentées de le manipuler afin de se présenter soi-même et de transmettre linformation désirée. Hétéroclite mais tout de même branché, le look lounge comme nous lavons mentionné - revêt différentes formes et permet à ceux qui y adhèrent dêtre perçu comme étant «in», et peut-être même prospères (souvenons-nous que les lounges sont souvent associés aux classes relativement nanties). Comme ces endroits favorisent le décrochage de la réalité quotidienne, permettent de manquer de sérieux et incitent souvent au «small talk» (malgré la recherche de profondeur de plusieurs de ceux et celles qui les fréquentent!), il pourrait aussi être postulé que les lounges facilitent le «faire à croire» auquel les acteurs sociaux se livrent parfois comme le suggère Goffman, quils leur permettent davoir lair fortunés et «davoir du goût».
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